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La critique peut être désagréable, mais elle est nécessaire. Elle est comme la douleur pour le corps humain : elle attire l’attention sur ce qui ne va pas.

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Billet "Ex-Slamation" 6 avril 2024

« Ex-Slamation », de l’indignation à l’apaisement »

 

Catherine Gaillard-Sarron – « Ex-Slamation »: le titre du tout dernier recueil de poésies de l’écrivaine Catherine Gaillard-Sarron constitue tout un programme, qui marque l’essentiel des textes publiés. L’ouvrage est marqué par des textes engagés, évocateurs des révoltes que la poétesse entend partager avec son lectorat. 

L’évocation du « slam » dans le titre en forme de jeux de mots du recueil est programmatique: le lecteur découvrira des poèmes incisifs, aux rimes qui claquent volontiers, roulant sur une versification essentiellement néoclassique qui, à plus d’une reprise, appelle une mise en musique. Par ailleurs, l’auteure n’hésite pas, par moments, à malmener les mots ou à jouer avec eux pour leur offrir un nouveau sens inattendu, par un simple écart de sonorités par exemple. 

Ecologie, féminisme, alcoolisme, monde qui se fait la guerre: les révoltes évoquées par la poétesse sont celles d’aujourd’hui. Elle a cependant la sagesse de ne guère désigner de coupables, si ce n’est peut-être la gent masculine de l’espèce humaine, à l’occasion de quelques poèmes inspirés par un féminisme tout personnel, qui affleure déjà dans plus d’un de ses ouvrages précédents. En la matière, on relève l’originalité de poèmes manifestement inspirés du « Dormeur du Val » d’Arthur Rimbaud (« Désertion », p. 63) ou de « If » de Rudyard Kipling (« Tu seras un homme ma fille », p. 68).

Quant au covid-19, il donne à l’auteure un point de départ pour proposer quelques poèmes inquiets sur le processus de déshumanisation qu’a enclenché le cycle de contraintes liées à la pandémie de triste mémoire – un processus qui peut aussi fragiliser l’inspiration d’un écrivain. Ces poèmes signent cependant un basculement dans le recueil: celui-ci va peu à peu receler des textes qui touchent à quelque chose de plus… « essentiel », pour relever un adjectif que la poétesse affectionne – on le retrouve à plus d’une reprise dans ces textes, mais aussi dans le titre d’un autre recueil: « Le refuge essentiel« . 

L’essentiel? Ce sont la vie, l’amour et la poésie, le lecteur le comprend poème après poème, face à l’émerveillement que l’auteure partage, allant jusqu’à évoquer une certaine transcendance. C’est donc sur une impression émerveillée, mais aussi consolée (et l’écriture, plus apaisée, en témoigne aussi formellement), que le lecteur quitte ce recueil qui, dès lors, donne une leçon: il y a un temps pour s’indigner, mais il y a aussi un temps, le meilleur qu’on garde pour la fin, pour s’émerveiller. Et en sa qualité de poétesse, Catherine Gaillard-Sarron montre l’exemple.

Catherine Gaillard-Sarron, Ex-Slamation, Chamblon, Catherine Gaillard-Sarron, 2024.

Le site de Catherine Gaillard-Sarron.

 

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Billet "La sirène de Montsalvens" 7 novembre 2022

La sirène de Montsalvens, un mort pour rien.

 

Catherine Gaillard-Sarron – Cela aurait dû être une nouvelle, c’est devenu un roman: tel est le destin du dernier opus de l’écrivaine Catherine Gaillard-Sarron, “La Sirène de Montsalvens”. Il s’agit d’un polar bien ancré dans son terroir de la Gruyère, au sud du canton de Fribourg, construit sur une intrigue originale pétrie de sombres dynamiques villageoises: Elias Baud a-t-il tué sa femme Léane et Lenny Marnet, l’amant de celle-ci? Et que fait la police, alors?

Celle-ci recèle, dans le village de Broc, un élément que le lecteur aimera détester, d’autant plus qu’il est remarquablement construit: c’est le caporal Edouard Aeby. La romancière le dépeint, encroûté et devenu gras, persuadé jusqu’à l’obsession de la culpabilité de Baud. Pour accentuer le caractère odieux de ce bonhomme, qui est également un soupirant éconduit de Léane, l’écrivaine n’hésite pas à utiliser les comparaisons et métaphores animalières, liées entre autres aux crapauds. Et c’est bien “la bave du crapaud”, à base de ragots savamment distillés, qui va se répandre à cause de lui dans le village de Broc.

Dès lors, la romancière excelle à démontrer comment toute la population d’un village peut harceler jusqu’à l’extrême Elias Baud, un homme simple et aimant. Déjà marqué par le départ de son épouse, il va connaître une dérive allant jusqu’à l’irréparable, et c’est cette dérive que l’auteure montre avant tout: alcool, repli sur soi, stratégies pour éviter les autres villageois, perte d’emploi (il est charpentier) en raison des soupçons qui pèsent sur lui. Ainsi la romancière met-elle à nu la noirceur d’âmes à la merci des rumeurs, une noirceur dont le prêtre, en fin de roman, fera la synthèse. Elias Baud a donc commis l’irréparable; et si le coupable, c’était en définitive le village dans son ensemble?

Elias Baud a donc commis l’irréparable; et si le coupable, c’était en définitive le village dans son ensemble?

Les émotions et les passions s’exprimeront enfin à plein en fin de roman, au moment où les masques tombent peu à peu. Il y aura des auditions qui auront tout d’interrogatoires, des tensions au bureau de police aussi: la hiérarchie d’Edouard Aeby va elle aussi se sentir coupable, en proie au doute. 

Enfin, il y a le décor, avec en son cœur les ruines de Montsalvens, vestiges qui subsistent sur les hauteurs de Broc et peuvent faire un but de promenade sympathique. Dans “La Sirène de Montsalvens”, elles abritent à la fois le meilleur de la passion et ce qu’une destinée humaine peut avoir de plus tragique. L’auteure joue enfin aussi avec les noms de ses personnages. Alors que les personnages les plus présents sont nommés par des patronymes existants, les personnages secondaires se voient nommés en fonction de localités de la région: Surpierre, Sorens, Morlon – ce dernier étant un assez rare nom de famille français, pour le coup. Enfin, les habitants du sud du canton de Fribourg reconnaîtront avec plaisir les lieux-dits cités, à l’instar des gorges de la Jogne, du lac de la Gruyère ou de la montée de Bataille.

Avec “La Sirène de Montsalvens”, Catherine Gaillard-Sarron signe un roman policier atypique aux ambiances d’automne, entre soleil et pluie, entre amour et mort. Celles-ci sont encore soutenues par une écriture fluide et sobre qui va à l’essentiel pour dire le drame et la rédemption.

Avec “La Sirène de Montsalvens”, Catherine Gaillard-Sarron signe un roman policier atypique aux ambiances d’automne, entre soleil et pluie, entre amour et mort. Celles-ci sont encore soutenues par une écriture fluide et sobre qui va à l’essentiel pour dire le drame et la rédemption.

Catherine Gaillard-Sarron, La Sirène de Montsalvens, Chamblon, Catherine Gaillard-Sarron, 2022.

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Billet "Le refuge essentiel" 19 novembre 2021

L’amour toujours recommencé…

 

Catherine Gaillard-Sarron – L’amour est d’autant plus beau lorsqu’il est l’œuvre de toute une vie, et qu’il permet de venir à bout des épreuves les plus ardues. En offrant à ses lecteurs « Le refuge essentiel », l’écrivaine Catherine Gaillard-Sarron dévoile vingt ans de poésie, reflets de quatre décennies d’un amour sans faille à Claude, son mari, source permanente d’inspiration autant que de sentiments. Y a-t-il pour lui un mot masculin pour dire « égérie » ou « muse », d’ailleurs?

« Le refuge essentiel » s’inscrit dans la droite ligne des recueils que la poétesse a écrits pour explorer par les mots et par le genre poétique ses sentiments. Ce recueil reprend des poèmes antérieurs, retravaillés à l’occasion. Quant aux vers inédits, ils s’apparentent à une continuation, évocatrice en particulier de cet amour qui survit aux années, et dont l’écrivaine s’émerveille.

Francs et sincères, naïfs en ce sens qu’ils sont le vecteur d’un ressenti toujours neuf et frais, les vers de la poétesse s’avèrent porteurs de sensations immédiates que le lecteur partage aisément. Ils fonctionnent sur une base néoclassique, créant un gris typographique familier fait de strophes. La forme suggère ainsi, autant que les mots, la solidité d’un amour confiant sur lequel on peut construire – l’ambiance est à la valeur sûre, en particulier dans la première partie du recueil, « La Terre de l’Aimé ». 

Et lorsque la versification se fait plus libre, c’est que ce qui doit être dit doit également paraître plus passionné. Elle ose dès lors une ponctuation plus hardie, riche en points d’exclamation par exemple, pour porter une musique qui s’arrête soudain d’être rassurante. 

La rythmique voulue par la poétesse résulte aussi de ces vers répétés comme une ritournelle qui structurent plus d’un poème. Il y a plus: le lecteur est entraîné dans sa lecture par plusieurs motifs récurrents, précisément les yeux du mari muse, aux couleurs changeantes au gré des poèmes et donc des ambiances, ou ses mains, maintes fois décrites dans une tonalité amoureuse, qu’elles portent l’alliance ou qu’elles caressent – ce sont celles du mari et de l’amant.

et si l’auteure ose parfois une tonalité ludique, l’ensemble laisse surtout au lecteur l’impression réussie que l’auteure évoque un amour considéré comme un sentiment de toujours, hors du temps, lien immarcescible entre l’humble humanité et quelque chose qui la dépasse, cosmique ou divin. 

Chaque partie du recueil « Le refuge essentiel » évoque l’un des aspects finement choisis, vécus, d’une vie amoureuse présentée comme évidemment épanouie. L’érotisme en fait partie, et ce sera le jeu de « Epa(nui)ssement », marqué par quelques trouvailles verbales qui, créatives, reflètent la créativité dont l’amour physique peut être porteur. Il y a une part de doute dans « Attention fragile », qui évoque les frottements inhérents à la vie à deux. Quant à l’épreuve, elle est l’apanage de « Tremblement de cœur », souvenir du cancer de l’homme. Le soutien est difficile, l’hospitalisation impose la distance: tout d’un coup, tout est remis en question. 

Et poème après poème, l’auteure décline en un recueil plus que généreux un amour à la fois constant et sans cesse recommencé. S’il y a un jeu sur les focalisations, si certains poèmes disent « il » plutôt que « tu » parce que celle qui raconte prend le temps de se retirer pour mieux savourer, et si l’auteure ose parfois une tonalité ludique, l’ensemble laisse surtout au lecteur l’impression réussie que l’auteure évoque un amour considéré comme un sentiment de toujours, hors du temps, lien immarcescible entre l’humble humanité et quelque chose qui la dépasse, cosmique ou divin. 

Catherine Gaillard-Sarron, Le refuge essentiel, Chamblon, Catherine Gaillard-Sarron, 2021.

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Billet "L'écrivain aux mains rouges" 12 novembre 2020

Coupable, toujours coupable!

 

Catherine Gaillard-Sarron – L’écrivaine Catherine Gaillard-Sarron gâte ses lecteurs cet automne. Elle leur propose en effet pas moins de deux livres. J’ai évoqué hier son recueil de poésies “La ligne du temps“. Simultanément, a paru son dernier recueil de nouvelles “L’écrivain aux mains rouges. Dans la droite ligne de ses nouvelles précédentes, ce recueil met en avant ces humains que nous sommes, et dont les caractères se frottent. Une ligne directrice pour ces six nouvelles ? La culpabilité.

Il y a quelque chose de l’”acte surréaliste le plus simple” façon André Breton dans le geste voulu par Germain Ducommun pour connaître enfin le succès littéraire : tuer quelqu’un à coups de revolver. 

Cette culpabilité est assumée, voulue même dans la première nouvelle du recueil, celle qui lui donne son titre et qui est parfaitement résumée par l’image de couverture du livre. Il y a quelque chose de l’”acte surréaliste le plus simple” façon André Breton dans le geste voulu par Germain Ducommun pour connaître enfin le succès littéraire : tuer quelqu’un à coups de revolver. 

Le choix du nom de ce personnage, un prof du secondaire dépourvu de profil, est un programme : il s’appelle Germain comme Saint-Germain-des-Prés, et Ducommun parce qu’il est un écrivain anonyme, aux idées parfaitement communes : pourquoi Nabilla et pas moi ? Et pourquoi la justice trouve-t-elle des circonstances atténuantes aux prévenus ? 

Et le pire, c’est que ça marche : le livre de Germain Ducommun l’assassin devient un best-seller. L’auteure interroge ainsi ces hommes et ces femmes qui consomment des livres : et vous, achèteriez-vous l’ouvrage d’un criminel – mettons, euh, Merah ou Breivik ? Et qu’est-ce qui motiverait votre achat ? Coupable lecteur…

Il est possible de placer en parallèle les nouvelles “Le secret de Jonathan” et “Cas de conscience“, qui fonctionnent toutes les deux sur le motif romanesque courant du secret de famille, maintenu jusqu’au seuil de la mort. Le lecteur peut relever que le titre “Le secret de Jonathan” peut être compris de deux manières : soit c’est un secret que Jonathan détient, soit c’est un secret dont il est l’objet. C’est ce deuxième sens qui est privilégié. En n’utilisant que des prénoms, l’auteure installe une ambiance de familiarité dans ces nouvelles de famille. “Cas de conscience” fonctionne sur l’hésitation d’un mourant : dire une ultime et terrible vérité ou non? Et elle résonne de manière glaçante. Savoir et souffrir, ou ignorer sur le mode « dormez, braves gens !» ? L’auteure laisse le lecteur s’interroger.

Culpabilité encore dans “L’aurore aux doigts de glace“. Ce n’est pas la première fois que l’écrivaine utilise le ressort de l’alcool au masculin pour irriguer, si j’ose dire, une nouvelle. Sur ce coup-là, le comble, c’est que la première personne coupable, celle qui tenait le volant, est justement celle qui n’a pas bu au réveillon… encore que : en installant une scène d’accident de voiture dont un enfant est la victime, elle promène son regard sur chacun des personnages concernés ou impliqués et fait sentir avec finesse que toutes et tous ont des raisons de se sentir coupables.

Construite en crescendo, mettant en scène un champion du jeu nommé Olivier  “Opéra Scission” s’achève sur un festival de jeux de mots liés à la musique – point d’orgue du recueil, c’est le cas de le dire.

Et lorsqu’un couple rompt, il arrive que chacun dise que le coupable, c’est l’autre. Dans “Opéra Scission“, l’auteure met en place deux personnages qui se sentent légitimes à se livrer à leurs loisirs. Sauf que faire des vocalises n’est guère compatible avec le fait de regarder “Des chiffres et des lettres”. Construite en crescendo, mettant en scène un champion du jeu nommé Olivier (on pense à l’écrivain Olivier Chapuis, qui a bel et bien excellé à ce jeu télévisé : est-ce un clin d’œil amical ?), cette nouvelle s’achève sur un festival de jeux de mots liés à la musique – point d’orgue du recueil, c’est le cas de le dire.

Quant à la nouvelle “Mitomania“, c’est par la bande qu’elle aborde la notion de culpabilité : Edgar, celui qui plaque sa copine Lisbeth, doit-il se sentir coupable d’avoir largué une femme devenue folle à force de traquer des mites? Le lecteur pourra, lui, se sentir coupable de s’amuser aux méthodes utilisées par Lisbeth pour anéantir celles qui hantent son garde-manger.

Coupable, non coupable ? Pas besoin du marteau du juge pour en décider. Souvent, on s’accuse soi-même, et il arrive que les autres vous enfoncent. C’est dans ces méandres que l’écrivaine, fine mouche, embarque son lectorat. Et comme lire, c’est participer, le lecteur, acteur pas forcément prévenu, prend aussi le risque d’être interpellé de temps à autre.

Coupable, non coupable ? Pas besoin du marteau du juge pour en décider. Souvent, on s’accuse soi-même, et il arrive que les autres vous enfoncent. C’est dans ces méandres que l’écrivaine, fine mouche, embarque son lectorat.

Catherine Gaillard-Sarron, L’écrivain aux mains rouges, Chamblon, Catherine Gaillard-Sarron, 2020.

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Billet "La Ligne du temps" 11 novembre 2020

Sablier ou tapis, vie et mort : poèmes sur le temps qui passe

 

Catherine Gaillard-Sarron – Le temps, voilà un thème qui nous concerne tous, et apparaît donc comme universel. À sa manière, l’auteure le revisite au gré de ses vers. Cela donne “La ligne du temps”, un généreux recueil segmenté en quatre parties, comme les quatre saisons de l’année.

Mais le temps se mesure aussi en des rythmes plus brefs, marqueurs d’urgence. En privilégiant sans exclusive le vers hexasyllabe pensé en liberté, l’auteure rappelle que le temps se mesure par six ou par multiples de six : les douze heures de la montre (il y en a une sur la couverture, justement), et les vingt-quatre heures du jour. Douze heures ? Bien entendu, quelques poèmes de “La Ligne du temps” font aussi résonner l’ampleur solennelle de l’alexandrin. Et quelques poèmes alternent des rythmes plus hétéroclites, comme si le temps perdait, au fil des thèmes, le rythme inexorable que lui taillent les horloges.

Les images que la poétesse rattache au temps peuvent paraître classiques, à l’instar du fil du temps ou de “La Ligne du temps”, titre du premier poème du recueil. Cette ligne, c’est celle d’un temps linéaire, mais c’est aussi, on y pense bien sûr, la ligne du chemin de fer – réputé pour son implacable ponctualité. Et ces strophes qui commencent immanquablement par “Roulent” imposent l’image ferroviaire, encore confirmée par… l’image de couverture.

Côté images, il y a aussi cette belle trouvaille de la vie vue comme un tapis rouge dans “Le tapis de la vie”, une image travaillée de façon efficace, en profondeur, pour qu’elle apparaisse dans son évidente et simple richesse aux yeux du lecteur.

C’est que qui dit temps dit vie, et donc mort. L’auteure la nomme “Camarde”, presque camarade, presque un prénom : si elle n’est guère aimée, elle semble quand même familière. C’est l’enjeu de la troisième partie du recueil, qui se fait personnelle puisque plusieurs poèmes s’adressent directement à la mère défunte de la poétesse. Dans l’optique de l’œuvre de l’écrivaine, on ne peut que penser au recueil “Frère d’âme“, consacré au frère également défunt de l’auteure.

Frère, mère, on pense famille et aussi amour – et c’est le thème du dernier volet de ce recueil. L’amour est bien entendu conditionné à notre finitude, et c’est donc encore une histoire de temps. L’auteure en évoque les ressentis amoureux, mais aussi filiaux ; et ces derniers peuvent aussi laisser un creux, comme le dit le poème “La chambre vide…”, écrit en alexandrins qui s’efforcent, par leur longueur, de combler le vide causé par le départ de l’enfant devenu grand.

Enfin, l’auteure n’hésite pas à jouer avec les mots pour en créer de nouveaux afin de mieux dire certains ressentis, certaines réalités. Ces nouveaux mots prennent une force toute particulière lorsqu’ils apparaissent dans les titres des poèmes, comme “Pré-sens” ou “Transe-génération”. C’est rare – mais suffisamment présent pour frapper.

Entre classiques rassurants, rythmés par la clepsydre ou le sablier, et audaces poétiques pour dire les surprises du temps, “La ligne du temps” apparaît ainsi comme un beau recueil de poèmes, oscillant entre maîtrise et liberté pour dire délicatement le temps qui passe, avec tout ce qu’il peut avoir d’inexorable et de triste, mais aussi d’heureux et d’étonnant. 

Catherine Gaillard-Sarron, La ligne du temps, Chamblon, Catherine Gaillard-Sarron, 2020.

Billet "Solstice" 2 juin 2020

Marie Loverraz, les étreintes du solstice d’été

« Solstice »

 

C’est bientôt l’été, le soleil commence à cogner fort sur nos contrées, et après une longue période de confinement, on a envie de se laisser caresser par l’air chaud. Alors, pourquoi ne pas emporter dans sa poche “Solstice”, le nouveau recueil de nouvelles érotiques de l’écrivaine Marie Loverraz? Elles sont trois, ces nouvelles, et à chaque fois, c’est l’été, avec son cortège d’images attendues: champs de blé, plage en Grèce, et même, dans un registre un peu différent, anniversaire de mariage chaud bouillant.

“Solstice”, la nouvelle qui donne son titre au recueil, qui ouvre le recueil en offrant “la totale”, s’avère typique de l’auteure. Celle-ci sait convoquer les cinq sens pour développer ses intrigues érotiques. Bien sûr qu’on se regarde, bien sûr que tout peut naître d’une rencontre inspiratrice, et la fugace serveuse qui sourit au jeune client n’est qu’un avant-goût de la suite. Une suite qui revisite le classique de l’amour sur la paille, puisque le jeune homme, arrivé d’Amiens vers le sud de Grenoble, séduit une Parisienne mutine, curieusement juchée sur une charrette de foin.

“L’auteure donne aussi à sentir, non sans lyrisme, la terre humide qui embaume au crépuscule, et la musique des râles amoureux”

Mais voilà: si l’approche est rapide entre les jeunes personnages, consentants avant même d’en être conscients, l’auteure donne aussi à sentir, non sans lyrisme, la terre humide qui embaume au crépuscule, et la musique des râles amoureux – précisément le soir de la Fête de la musique. Et pour la malice, l’approche des deux amants joue sur le double sens du mot “culbuter”. Visuelles mais pas seulement, les métaphores sont évocatrices: les seins de Cloé sont des pêches, ils ont du goût et on aime les caresser. Et la nouvelle, comme un jeu, oscille entre douceur et vigueur, avec un doux “examen”.

Le titre de la nouvelle l’annonce, c’est en Vénus anadyomène que la nordique Veronika va se sentir réincarnée. Et un charmant jeune homme un brin voyeur passe par là, image du satyre mythologique ou de l’adonis…

Dans la deuxième nouvelle, “Vénus aquatica”, c’est carrément à la mythologie que l’imagerie emprunte – et pour cause, nous sommes en Crète. Dans cette île surpeuplée de touristes, qui ne rêverait d’une plage qui offrirait un agréable confinement, bien solitaire? Le titre de la nouvelle l’annonce, c’est en Vénus anadyomène que la nordique Veronika va se sentir réincarnée. Et un charmant jeune homme un brin voyeur passe par là, image du satyre mythologique ou de l’adonis… Le lecteur comprend au terme de cette lecture qu’une femme, pour être vraiment honorée, doit se sentir comme une déesse.

La complicité des amoureux, un couple rodé mais où la flamme n’est pas morte, est dessinée par les petits jeux de mots glissés dans la conversation. Et il y a aussi du mérite à montrer que s’habiller, au moins autant qu’un strip-tease, peut être émoustillant.

Dessinée en rouge et noir dans l’intimité d’un logement, l’ambiance de “Noces de soie” est différente: il n’y est plus question d’une union entre deux inconnus, ni d’amours en plein air. C’est l’été cependant, c’est fête à la maison et il y a deux menus: le menu amoureux et le menu à manger, tous deux appétissants. Tous deux sont développés en parallèle, dans une volonté de faire monter la température. La complicité des amoureux, un couple rodé mais où la flamme n’est pas morte, est dessinée par les petits jeux de mots glissés dans la conversation. Et il y a aussi du mérite à montrer que s’habiller, au moins autant qu’un strip-tease, peut être émoustillant.

On retrouve certaines images d’une nouvelle à l’autre, que ce soit celle de l’amant qui “grogne” ou celle du miel, de l’humeur liquoreuse, ce qui crée un lien mais peut aussi paraître un poil répétitif sur un si court recueil (113 pages, lues en une courte après-midi). Reste que chaque nouvelle s’avère habilement troussée, à la fois explicite et baignée de poésie, pour relater des étreintes à la fois évidentes et extraordinaires – évidentes parce qu’elles relatent l’histoire de gens qui ont juste envie d’un bon moment (mais cela arrive-t-il comme ça ailleurs que dans les livres?) et extraordinaires parce que l’auteure sait en dire tout le bonheur qu’elles peuvent susciter, tout simplement.

Et au terme de la lecture de “Solstice”, une citation d’Yvan Audouard: “L’érotisme, c’est quand on le fait, le porno, c’est quand on le regarde”. Et quand on l’imagine, qu’est-ce que ce serait? Telle est la porte qu’ouvre “Solstice”.

Reste que chaque nouvelle s’avère habilement troussée, à la fois explicite et baignée de poésie, pour relater des étreintes à la fois évidentes et extraordinaires, parce que l’auteure sait en dire tout le bonheur qu’elles peuvent susciter, tout simplement.

 

Marie Loverraz, Solstice, Chamblon, CGS, 2020

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Billet "Frère d'Âme" 29 janvier 2020

Dire le deuil, dire la promesse du printemps

Catherine Gaillard-Sarron – Avec « Frère d’âme », Catherine Gaillard-Sarron signe un livre de poésie extrêmement personnel autour du décès du frère de la poétesse, emporté par un cancer. Recueil? L’écrivaine va plus loin que la collecte d’états d’âme épars et fait de son livre un ouvrage qui, simplement, se structure autour de double loi d’airain de la mort et, pour ceux qui restent, du temps qui passe. Collectés en quelque 75 pages, les poèmes condensent donc les ressentis sur le ton du souvenir, mais aussi sur celui de la vie et de l’amour qui doivent primer.
 « Tes yeux de magnétite qui aimantent les miens… »: là est toute la force de la vie. Cette attention au regard va jusqu’au bout: « Il nous fait ses adieux/Des larmes dans les yeux. »
Tout commence par la vision difficile de ce frère amoindri sur un lit d’hôpital, qui sait qu’il va partir. Comment le vivent ceux qui vont rester? Et comment le vit celui qui va partir? « Il va mourir./Il le sait./Et nous le savons aussi. »: en trois vers, la situation est installée. La poétesse observe avec tendresse celui qui s’en va, attentive surtout à son regard, certes angoissé, mais aussi dernier à rester vif alors que le corps déjà dépérit: « Tes yeux de magnétite qui aimantent les miens… »: là est toute la force de la vie. Cette attention au regard va jusqu’au bout: « Il nous fait ses adieux/Des larmes dans les yeux. »
 
Il y a une forme de mise à distance dans tel poème écrit à la troisième personne, qui signifie l’acceptation du départ ultime et le début du processus de deuil. « Traversée en solitaire » évoque ainsi ce qu’on nomme volontiers « le dernier voyage »; là, la poétesse recourt à la troisième personne aussi, la seule juste: ce voyage, seul le défunt en fait l’expérience. Mais dans le poème « La Dame brune », qui évoque aussi le défunt à la troisième personne, cette distanciation n’oublie pas la proximité: « De tous il a tenu la main », dit-on de celui qui est désormais parti. 
 
Par contraste, le poème « Mon frère est mort », écrit à la première personne, celle de l’écrivaine, apparaît comme extrêmement intime, utilisant le vers « Mon frère est mort » comme une anaphore, soulignée par l’usage varié et sensé de la ponctuation, porteuse de sens à chaque fois. Et il y a ce « A notre frère », poème qui utilise le « nous » pour dire le deuil de toute une famille, de tout un monde, et résonne comme un vibrant hommage funèbre.
 
Les circonstances du départ du frère apparaissent comme un lieu littéraire par excellence: il est parti à la fin de l’hiver, glaçant un peu plus l’arrière-saison. La poétesse ne manque dès lors pas de mentionner les flocons qui tombent – tout en rappelant que le frère défunt voulait partir au printemps. Elle indique aussi les fleurs qui reviennent – ce que suggère le poème « Au printemps ». Ce printemps, saison du renouveau, est celui d’un autre départ: la vie doit continuer, et l’amour est sans doute la clé pour la rendre vivable malgré l’absence. « L’amour qui grâce à nous/Triomphera de tout », conclut d’ailleurs le dernier poème du livre.
 
Le processus de deuil est aussi l’occasion de réfléchir à ce qu’a été ce frère à la fois familier et méconnu, « Ce frère Tournesol, inventif mais distrait ». La poétesse ne manque pas de faire résonner son approche littéraire avec le tempérament scientifique du disparu. Invité dans l’intimité de « Frère d’âme », le lecteur ne peut que s’interroger: est-ce que je connais vraiment mon frère, ma sœur? Est-il mon frère, ma sœur d’âme, d’armes, est-on tenté de lire?
Invité dans l’intimité de « Frère d’âme », le lecteur ne peut que s’interroger: est-ce que je connais vraiment mon frère, ma sœur? Est-il mon frère, ma sœur d’âme, d’armes, est-on tenté de lire?
Les points de vue varient, on l’a dit, et sont autant de focales sur le drame d’un deuil. La poétesse varie aussi la forme de ses poèmes, oscillant entre une versification parfaitement libre, libérée même de sa ponctuation, simple et proche du ton de la conversation, et des vers alexandrins d’allure classique et solennels, ou alors de facture néoclassique, libérés des strictes règles d’antan: le moment du deuil n’est pas celui de la rigueur, celui où l’on s’empêche parce que les conventions l’exigent. Reste une constante, qui rythme « Frère d’âme »: ces haïkus qui introduisent chacun des poèmes et forment un contrepoint très dense à ce qui va être plus longuement dit.
 
Ainsi l’écrivaine, recourant à des mots simples et directs, met son cœur à nu et recourt à tout son art poétique pour dire de manière juste et profonde le départ d’un être cher, ce frère, ce Christian auquel « Frère d’âme » est dédié, invitant le lecteur à partager sa peine, mais aussi la promesse d’un deuil apaisé. Ce que suggèrent les jonquilles inondées de soleil figurées sur la couverture de ce livre fort.
 
Catherine Gaillard-Sarron, Frère d’âme, Chamblon, Catherine Gaillard-Sarron, 2019. Préface de François Gachoud.
Billet "L'amour est aveugle" 13 janvier 2020

Marie Loverraz, l’amour au bout des doigts   

L’amour est aveugle

Blog Fattorius 13.1.20

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« L’amour est aveugle »: un adage mille fois entendu devient le titre d’un micro-roman signé Marie Loverraz. Pour le coup, il doit être compris au sens littéral: Monsieur est aveugle. Ce qui ne l’empêche pas d’être sensible… de tous ses sens restants. Auquel il faut ajouter un sixième sens qu’on appellerait, en d’autres circonstances, l’intuition féminine – ressentie par un homme, pour le coup, ce qui ne manque pas de déstabiliser Madame.
 
On y va: A comme amour, c’est aussi A comme Augustine et A comme André, le courageux si l’on en croit l’étymologie. Et Josiane, la collègue d’Augustine, est hors jeu: son prénom ne commence pas par la même lettre que les futurs amants. Et on pourrait dire J comme jalousie, pour le coup… Continuons un instant dans l’onomastique: il y a aussi un peu d’ironie à nommer André « Leclair ». Mais dans cette histoire, n’est-ce pas l’aveugle qui y « voit » le plus clair? La romancière le montre comme un homme qui sait y faire avec les femmes, comédien bonimenteur, assertif en diable, allant jusqu’à jouer avec sa cécité. On l’a compris: une fois que la danse amoureuse a commencé à la rue Desanges (« des Anges »), c’est lui qui la mène.
Mais dans cette histoire, n’est-ce pas l’aveugle qui y “voit” le plus clair?
Il est certes permis de ne pas adhérer sans réserve au personnage d’Augustine, présentée comme une quadragénaire au physique banal, résignée au célibat parce que, selon elle, les hommes ne savent voir que le physique. Pas faux, la science l’a démontré! Cela dit, une femme banale peut rassurer un homme qui craint qu’une femme trop belle, attirant les regards, ne soit jamais tout à fait à lui – bête réflexe de genre, comme quoi… Mais de manière plus universelle, cette Augustine qui se pique de culture, libraire et lectrice pour une bibliothèque sonore, hantant conférences et concerts, ne fait-elle pas fuir les gars simplement parce qu’elle se prétend plus intelligente que les autres, comme le dernier des cuistres?
L’intérêt littéraire est ailleurs. L’auteure a en effet l’habileté de faire tout doucement monter la température, en dessinant une relation amoureuse qui se précise, jusqu’au point suprême.
Point de vue personnel certes… c’est dans cet état d’esprit que j’observe Augustine. Et l’intérêt littéraire est ailleurs. L’auteure a en effet l’habileté de faire tout doucement monter la température, en dessinant une relation amoureuse qui se précise, jusqu’au point suprême. Elle organise son récit en cinq chapitres, qu’on peut voir comme les cinq sens, qui participent de tout bon érotisme. La véritable force d’Augustine est ainsi sa voix, présentée comme extrêmement sensuelle et chaude. De quoi épater un aveugle dont les autres sens sont exacerbés par compensation. Le toucher joue son rôle dans le texte aussi, bien entendu, par le biais des caresses. La vue elle-même est essentielle, d’ailleurs: l’auteure suggère qu’André, aveugle à la suite d’une maladie (il a été peintre, et le caractère érotique de ses créations concourt au crescendo) a des yeux au bout des doigts. Quant au goût et à l’odorat… de façon classique, un peu de champagne y pourvoira en faisant des bulles dans les cœurs. Davantage qu’un thé…
 
Il est dès lors intéressant de voir cette Augustine si sûre de son savoir, qui se considère même comme finalement pas si mal (ils n’y connaissent rien!) fondre face à un homme qui sait y faire et la mener vers ce qui leur fera plaisir ensemble. A plus d’une reprise, on la sent déstabilisée par un homme qui, sans la voir, lit en elle comme en un livre ouvert. On la sent devenir une toute petite fille, révélée à elle-même par l’amant André qui, nouveau Pygmalion, la guide vers plus loin et la fait se sentir belle et désirable, naturellement.[…] 
 
Pourtant, ce n’est pas sur un orgasme que s’achève « L’amour est aveugle », mais sur un poème. L’auteure paraît suggérer ainsi que la poésie va encore plus loin que le bonheur physique d’un moment d’amour, fût-il virtuose – et Dieu sait si l’auteure n’hésite pas à montrer les gestes, ni les positions, ni à dire les sensations. […] Cela, après avoir tombé ses lunettes noires (geste présenté comme déjà fort intime) et ses vêtements… C’est peut-être ça, l’amour: quelque chose de beau que la poésie transcende.
C’est peut-être ça, l’amour: quelque chose de beau que la poésie transcende.
 
Marie Loverraz, L’amour est aveugle, Chamblon, Catherine Gaillard-Sarron, 2019.
Billet "Bain de minuit" 16 décembre 2019

L’anticipation inquiète  

Blog Fattorius 16.12.19

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Catherine Gaillard-Sarron L’écrivaine Catherine Gaillard-Sarron aime aborder tous les genres littéraires, avec une prédilection pour la nouvelle. « Bain de minuit » marque l’irruption de l’écrivaine dans le monde de l’anticipation, au travers de quatre nouvelles qui reflètent avec intelligence l’essentiel des inquiétudes que l’avenir suscite au sein du grand public.

Le réchauffement du climat peut ainsi prendre la forme d’un hiver climatique, et c’est « Homo ex Machina » qui voit le jour. Sur un décor qui rappelle le film « Le jour d’après » de Roland Emmerich, où tout n’est que glace, l’auteure met en scène Zeta, une mère en rupture de ban, ayant donné le jour par effraction.
Glaçant avenir en effet que l’auteure dessine ici: c’est un flicage constant qu’elle donne à voir. L’ambiance dictatoriale qui en découle, si terrible qu’elle soit, est tempérée par de nombreux jeux de mots à base d’acronymes administratifs. Astucieusement agencés, ceux-ci pourraient amuser, s’ils n’étaient pas les éléments manifestes d’un pouvoir aveugle et aléatoire. Tableau rapide d’un monde en proie à un système totalitaire, « Homo ex Machina », c’est un peu « En attendant Gattaca ».
L’auteure aborde, et c’est original, la question de l’âgisme, dans « Les 70e Alzheimeriades ». Un flash sur un monde où la solidarité intergénérationnelle est rompue et où la jeune génération n’hésite pas à se débarrasser de ses aînés – donnant suite à une idée présente de façon insistante dans la littérature, au moins depuis « Le Rapport Lugano » de Susan George, prônant la disparition des inutiles. 
 
Ici, l’auteure personnalise son propos à travers un certain Daniel, condamné à mort pour raisons d’âge. Comme dans « Homo ex machina », le lecteur se trouve moins dans une vraie nouvelle que dans la description d’une situation terrible qui permet de réfléchir à ce qui pourrait arriver dans un avenir plus ou moins proche. Glaçant: de plus, hors du livre, la revanche des jeunes sur les vieux a aujourd’hui déjà son cri de ralliement: « OK Boomer ». « Les 70e Alzheimeriades », à ce titre, n’est rien d’autre que l’aboutissement radical de ce slogan – marié à une ambiance d’arène romaine, parce que les jeunes d’hier et d’aujourd’hui ne veulent rien d’autre que du pain et des jeux. Pas meilleurs les uns que les autres…
 
« Homo ex Machina » et « Les 70e Alzheimeriades » sont deux nouvelles brèves; on aurait même envie de dire qu’elles sont plutôt les portraits poussés à l’extrême d’une situation qui résulte d’une évolution qui porte sur plusieurs générations. Climat détraqué, déséquilibre des âges, quoi d’autre? Les deux longues nouvelles qui enveloppent ces deux textes brefs sont l’occasion d’une réflexion de plus longue haleine, aux ambiances de nouvelles d’horreur.
 
Dans « Roald », c’est ainsi dans un frigo précisément surnommé Roald (comme Amundsen) qu’on retrouve un informaticien, marié avec bonheur. Psychologue au regard curieux, l’auteure s’amuse à mettre en scène un couple, montrant un homme un brin sentencieux et une femme qui préfère parfois éviter le conflit – tout en sachant qu’on peut se demander parfois qui donne vraiment la leçon à l’autre. Scène de couple ordinaire! Et si le frigo congèle les humains, force est de constater, page après page, que l’amour les réchauffe. Comme les disputes.
 
C’est aussi le ressort de l’amour qui fait avancer « Bain de minuit », la nouvelle qui donne son titre au recueil. Des victimes? Voici Antoine et Camille, des fiancés qui vont se marier tout soudain. Camille, un gars ou une fille? L’auteure entretient le doute et l’on s’interroge jusqu’à la page 23 – pour peu qu’on soit distrait: il ne sera de toutes façons pas question d’un mariage homosexuel, puisque celui-ci n’est légal en France que depuis 2013 et que l’histoire se développe en 2011. Celle-ci joue sur tous les registres: au début, on se sent embarqué dans une intrigue policière autour de la disparition de ces deux jeunes gens. Marc Rossignol mène l’enquête…
 
Ce nom de « Rossignol » suggère que l’inspecteur s’envole, à l’instar de Camille et Antoine, disparus mystérieusement. Osant quelques pages érotiques empreintes de complicité entre deux jeunes amants, filant comme par hasard l’image avicole en des voies classiques et sympathiques (« Tu veux que mon petit oiseau vienne sur ton perchoir? », p. 50), l’auteure dessine les contours de cette disparition, due peut-être à des machins verts et informes sur lesquels elle entretient un flou volontaire – peut-être même que ce sont d’involontaires créatures humaines. Il est piquant de constater que les amoureux et le policier disparaissent de la même manière, dans leur voiture. Et quand Jean Ferrat résonne dans la voiture des amoureux qui se font bouffer, on songe immanquablement à « Christine », la voiture qui tue imaginée par Stephen King, et à son autoradio intempestive. Sans compter que si Jean Ferrat n’est peut-être pas la tasse de thé évidente des Millenials, force est de constater qu’il constitue une bande sonore idéalement structurée pour « Bain de minuit ».
 
Fluide, parsemée de traits d’esprit qui n’effacent pas la gravité du propos, l’écriture est habile à conduire le lecteur au travers d’histoires et de choses vues. Elle est le vecteur d’une inquiétude constante face au monde qui vient et reflète quelques questions de fond que nous nous posons aujourd’hui: solidarité entre les générations, évolution climatique, révolution numérique. Comment vivrons-nous alors dans une poignée de décennies? Sur la base de quelques éléments spécialement sensibles, telle est la question que l’auteure (se) pose.
 
Catherine Gaillard-Sarron, Bain de minuit, Chamblon, Catherine Gaillard-Sarron, 2019.

Billet "Le baiser du bourdon" 12 février 2019

Ces femmes qu’on honore en jouant sur les registres des sens 

Blog Fattorius 12.2.19

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Marie Loverraz Faut-il débiner ce pseudonyme? Je préserverai ici l’identité véritable de l’écrivaine qui a écrit le recueil de nouvelles “Le baiser du bourdon”, même si quelques recherches suffiront à la démasquer. Pour changer de genre littéraire, en effet, il n’est pas rare que les écrivains changent aussi de nom. Et là, l’auteure, personnalité suisse romande douée dans le genre de la nouvelle, s’essaie au genre érotique. Cela, avec un bonheur certain… et le souci que ses personnages féminins, toujours au centre des histoires relatées, se trouvent honorés, à plus d’un titre.

Il y a beaucoup d’adresse et d’intelligence dans la première nouvelle, celle qui donne son titre au recueil. “Le Baiser du bourdon” relate un moment de partage entre deux amoureux d’un certain âge déjà, beaux et vigoureux encore: on est loin de tout jeunisme ici.

Il y a beaucoup d’adresse et d’intelligence dans la première nouvelle, celle qui donne son titre au recueil. “Le Baiser du bourdon” relate un moment de partage entre deux amoureux d’un certain âge déjà, beaux et vigoureux encore: on est loin de tout jeunisme ici. Mais là n’est pas l’essentiel! Ce que l’on apprécie ici, c’est que l’écrivaine réussit à faire entrer en résonance l’acte sexuel et la nature – parce que l’acte sexuel est naturel, bien sûr, mais pas seulement. Cette résonance passe aussi par le choix du vocabulaire, et notamment par un jeu autour du motif du bourdon, dans une ambiance printanière et ensoleillée: la sève monte… L’aspect visuel domine dans cette première nouvelle: l’homme regarde sa femme, se sent émoustillé, répond naturellement à l’appel de sa nature. Et du fait que tout se passe à l’extérieur, le lecteur ne peut exclure la possibilité de la présence d’un voyeur. Lui-même, peut-être? En tout cas, ceux qui s’aiment s’en fichent.

Le Baiser du bourdon” fait figure de modèle, avec une nouvelle où l’on s’étreint sans dissonance. Dès lors, les autres textes jouent à dévier peu à peu de cette manière orthodoxe, en somme, de faire les choses. Cela passe par la sollicitation d’autres sens. On pense à l’ouïe bien sûr, omniprésente dans l’hypnotique “La Charmeuse de vit…”, où une femme répond, envoûtante, à une panne typiquement masculine. Cela, en faisant appel à l’image de cette mer toujours recommencée, lieu où les corps nus s’alignent sous le soleil.

D’autres sens encore sont sollicités dans “Obscurs désirs”, une nouvelle qui a un côté expérimental puisque tout se passe dans le noir. L’auteure s’efforce dès lors d’éviter autant que possible (bien qu’en trichant parfois un peu) tout ce qui a trait à la vue. Le lecteur a parfois l’impression de découvrir des corps en morceaux, avec le personnage féminin au cœur de ce texte: un corps, c’est quelque chose que l’on touche, et qui vous touche finalement, jusqu’à l’extase que l’on goûte. Et sans vouloir trop en dire, l’issue plonge dans l’actualité bistrotière, avec une évocation de ces restaurants “dans le noir” à la mode dans les grandes villes.

Les deux dernières nouvelles du recueil évoquent des approches moins innocentes, mais pas moins astucieuses, de l’érotisme. Les personnages d’Hector et d’Andromaque sont ainsi ressuscités dans “Le grand crack”, une nouvelle qui met en scène un Giovanni qui voudrait bien se rapprocher de Don Juan – sans y arriver tout à fait, car il ne fonctionne pas de la même façon. Ici comme ailleurs, l’auteure ralentit le rythme de sa nouvelle en usant de paragraphes longs, décrivant avec force détails ce qui se passe. Reste que c’est surtout une guerre amoureuse qui s’installe, et qui n’a pas grand-chose à envier à la guerre de Troie, revisitée de manière moderne: à vidéaste, vidéaste et demi. Ah, le sens de la vue, piégeux, est de retour! Et pour terminer, “Plaisirs gémellaires” évoque les joies du triolisme et du fétichisme du pied. On peut évidemment regretter là les deux ou trois pages décrivant de façon un peu gratuite le tropisme féministe de l’un des personnages; on préfèrera cependant goûter le trouble d’un jeu mettant en scène deux hommes jumeaux, d’une ressemblance frappante, sincèrement heureux de faire plaisir à une femme qui, par le passé, à peut-être fait l’amour avec l’un et l’autre sans le savoir.

Quelques constantes, un fil rouge? Le plaisir féminin est présent dans toutes ces nouvelles, premier, éclatant, effrayant peut-être, extasié toujours, offert par de bons amants – qu’on rattrape au besoin, et qu’on pourrait même faire chanter. En voyant défiler et agir tous ces personnages, il est permis, par moments, de penser qu’aux yeux de l’auteure, l’érotisme est le lieu de pouvoir de la femme. Autre constante? Un style soigné et moderne à la fois, explicite comme c’est souvent l’usage aujourd’hui, qui n’hésite cependant pas à recourir aux images poétiques, classiques ou inventives, que la langue française permet pour dire les choses de l’amour et du sexe.

 
Marie Loverraz, Le baiser du bourdon, Chamblon, Catherine Gaillard-Sarron, 2018.

Billet "Mme Serpit-Coht décortique l'actualité" 4 février 2019

La presse dominicale romande à la moulinette 

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Blog Fattorius 4.2.19

Catherine Gaillard-Sarron Une couverture qui a tout du roman noir… mais ce n’est pas tout à fait à cela que l’écrivaine suisse Catherine Gaillard-Sarron invite son lectorat avec “Mme Serpit-Coht décortique l’actualité“. Non, l’idée est plus simple: elle consiste en un passage à la moulinette de l’actualité dominicale, réalisé en couple, avec Mme Aimée Serpit-Coht en tête de liste et son mari Fernand qui opine du bonnet en remplissant ses grilles de mots croisés ou de sudoku.

Un tel projet impose naturellement la forme du dialogue, et ceux-ci sont effectivement nombreux. Ne dites surtout pas “sois belle et tais-toi!” à Mme Serpit-Coht, dite “Mme Serpe”, elle n’en serait pas capable! Au contraire, elle parlerait deux fois plus (sans compter qu’elle écrit…). Il est regrettable que tout ou presque soit ramené par elle à une grille de lecture féministe, ce qui rend son discours un brin agaçant et prévisible. Son nom est du reste inspiré d’un justicier de cinéma, Frank Serpico, tout droit sorti d’un film de Sidney Lumet et peut-être plus taiseux.

“Reste que la complicité entre les deux époux, faite de sadomasochisme verbal mais pas seulement, est palpable. En témoignent les nombreux jeux de mots, doubles sens et néologismes amusants qui émaillent le propos. Comme tombés naturellement au fil de la plume, ils sont parfois attendus, le plus souvent subtils et astucieux, et apportent leur touche de légèreté souriante à un propos qui a tout de la conversation en roue libre, nourrie d’un certain sens.

Est-ce que le propos aurait été plus affûté si Fernand arrivait de temps à autre avec des arguments contradictoires solides? C’est possible. Face à Aimée, en effet, Fernand apparaît comme un père tranquille, désireux surtout de calme, ce que son épouse n’est pas toujours disposée à lui accorder. Les petites tensions du ménage apparaissent cependant au détour des pages, çà et là, sans que cela ne prête à conséquence: « Oui! » sera le dernier mot de Fernand, au terme d’une fin de roman apaisée. Comme s’il ne pouvait rien refuser à sa Mme Serpe! 

Reste que la complicité entre les deux époux, faite de sadomasochisme verbal mais pas seulement, est palpable. En témoignent les nombreux jeux de mots, doubles sens et néologismes amusants qui émaillent le propos. Comme tombés naturellement au fil de la plume, ils sont parfois attendus, le plus souvent subtils et astucieux, et apportent leur touche de légèreté souriante à un propos qui a tout de la conversation en roue libre, nourrie d’un certain sens. Elle surfe sur une actualité suggérée: des publicités mettant en scène des hommes maladroits aux uritrottoirs nanto-parisiens en passant par le monde des lettres, on la devine pétrie d’articles piochés dans la prose copieuse des journaux suisses romands du dimanche tels que « Le Matin » ou « Fémina », à peine déguisés sous de faux noms.

 
Catherine Gaillard-Sarron, Mme Serpit-Coht décortique l’actualité, Chamblon, Catherine Gaillard-Sarron, 2019.

Billet "La Décision" 30 juin 2018

« La Décision », un week-end pour changer la vie »

Blog Fattorius 30.6.18

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Catherine Gaillard-Sarron Partir d’un malaise existentiel pour passer à autre chose: c’est le fil conducteur de La Décision, troisième roman de l’écrivaine Catherine Gaillard-Sarron. Un roman qui tourne autour du personnage de Vincent, mis à l’écart d’une promotion très attendue au profit d’un collègue. Que faire, dès lors? En parler en famille? Vincent prend une décision qui va traverser tout ce roman où la psychologie occupe une place prépondérante.

Psychologie? La romancière aborde des thèmes difficiles comme le harcèlement en entreprise ou l’incommunication en couple et en famille, voire entre amis. Il en résulte d’assez longs passages introspectifs, les personnages étant poussés à se remettre en question; d’autres évoquent la vanité de certaines valeurs d’entreprise, voire la perte de sens du travail. Cela ralentit certes le propos, mais ça sonne toujours juste.

Partir d’un malaise existentiel pour passer à autre chose: c’est le fil conducteur de « La Décision« , troisième roman de l’écrivaine Catherine Gaillard-Sarron.

Le propos? Le harcèlement en entreprise dont Vincent est la victime est peu décrit. La trame narrative se concentre sur la narration du week-end en famille que Vincent vit après son éviction. Basé sur un mensonge, une omission qui va peser un peu sur l’ambiance, celui-ci s’avère cependant heureux, plus même que d’habitude: les activités sont nombreuses et pas forcément de tout repos, entre balade à Nyon, rencontre avec les voisins, etc. Pour un quadragénaire surmené virant quinqua, Vincent a d’ailleurs la santé: il fait l’amour une demi-douzaine de fois à son épouse durant les deux ou trois jours qui sont le cœur de La Décision, et les descriptions, sans fausse pudeur, s’avèrent voluptueuses comme il se doit. Ces scènes suggèrent aussi qu’un langage du corps, à défaut de celui des mots, s’installe à nouveau entre les personnages, avec passion.

Des personnages aux noms choisis avec soin, d’ailleurs. Certains rappellent des localités romandes (Marly, Morat) ou des polices de caractère (Bodoni, Garamond), d’autres sont transparentes, à l’instar de ce supérieur hiérarchique nommé Canis, véritable chien. Il est à relever que si les personnages secondaires, et en particulier les collègues de travail de Vincent, sont le plus souvent désignés par leur nom de famille, les personnages qui composent la famille de Vincent sont nommés par leur prénom, et ce n’est qu’incidemment qu’on apprendra leur patronyme, assez loin dans le roman. Ainsi se crée, pour le lecteur, une connivence particulière avec la famille qui est au cœur de La Décision.

Si l’absence de communication peut faire d’importants ravages, parler de ses problèmes, par écrit ou par oral, est un premier pas vers leur résolution. Et « La Décision » trouve les mots simples et justes pour le dire.

La Décision, c’est trois ou quatre jours qui vont tout changer dans la vie d’une famille suisse romande ordinaire. Tout le monde en sort grandi et plus mûr, même les deux filles qui, en fin de roman, ne pensent plus guère aux gadgets électroniques indispensables pour être dans le coup à l’école. En forme de nouveau départ, la conclusion a des airs de roman feel-good, suggérant que si l’absence de communication peut faire d’importants ravages, parler de ses problèmes, par écrit ou par oral, est un premier pas vers leur résolution. Et La Décision trouve les mots simples et justes pour le dire.

Catherine Gaillard-Sarron, La Décision, Chamblon, CGS, 2018. Préface de Jean-Marie Leclercq.

Daniel Fattore 30.6.18

Billet "Intemporalité" le 16 février 2018

IntempOralité », une belle brassée de poèmes sur les thèmes de toujours

Lien Blog Fattorius 16.2.18

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Catherine Gaillard-Sarron Parler en séquences rythmées, brèves et intenses, du temps qui passe, de l’âge, des choses de la vie, de l’amour, n’est-ce pas l’une des vocations de la poésie? L’écrivaine Catherine Gaillard-Sarron s’est lancée dans ces sujets avec « IntempOralité », son tout dernier recueil de poésies. La musique de ces poèmes est belle et sereine comme un soleil couchant.
 
« IntempOralité » : oui, dans le mot « intemporalité », il y a « oralité ». C’est quelque chose que tout le monde peut constater, avec un peu d’attention – mais est-on toujours attentif? Cette particularité, la poétesse a choisi de la mettre au jour. Ainsi, le titre donne tout son sens au recueil: la poésie est un art oral, et l’auteure invite le lecteur à lire ses poèmes à haute voix. Et ceux-ci, en abordant des thèmes de toujours, constituent autant de tentatives de dépasser le caractère forcément fini, mortel, de l’être humain. Et justement: vaincre la mort, la transcender, est l’une des vocations de l’art.
Et justement: vaincre la mort, la transcender, est l’une des vocations de l’art.
Les poèmes du recueil « IntempOralité » sont réunis de manière thématique et abordent, nous l’avons dit, des sujets classiques, reflets de la finitude de l’homme. La poétesse s’inscrit cependant dans une tradition qui la transcende, celle des poètes d’hier et d’aujourd’hui: d’emblée, son poème « La Faille », qui ouvre le recueil, fait immanquablement penser au « Dormeur du Val » d’Arthur Rimbaud. Un Rimbaud qui serait devenu sage, cependant: tout commence sur un rythme semblable au célèbre poème, mais tout s’achève non pas sur la mort, mais sur le rayonnement de la vie: « La faille d’où jaillit ma lumière intérieure… » Le choix de l’auteure de citer en exergue les grands poètes d’hier constitue une autre manière de s’inscrire humblement dans une tradition qui dépasse une seule vie humaine.
Autant de choses fragiles auxquelles la poésie de l’auteure donne un supplément d’âme, par son simple et beau regard humain
Plus précisément, l’auteure évoque dans ses poèmes les petites choses qui font la vie. Ce sont des arbres, et l’on voudrait être comme eux (« Je voudrais être un arbre… »), des lieux connus comme Faugères (France) ou Chamblon (Suisse) où souffle le joran. Il y a aussi les pierres, les odeurs de sous-bois, les fraises des bois même (« Dame Fraise »). Autant de choses fragiles auxquelles la poésie de l’auteure donne un supplément d’âme, par son simple et beau regard humain. En contrepoint, l’auteure reconnaît par ailleurs la possibilité d’une transcendance, d’un dieu nommé par périphrases. 
 
Privilégiant le plus souvent des structures à quatre temps (en particulier les quatrains), l’auteure installe au fil des poèmes un rythme coutumier et lui aussi serein. Une impression de sérénité renforcée par l’usage modéré de la ponctuation. Dès lors, les poèmes qui s’écartent de ce schéma, tels « Trans-déshumanisation », construit en tercets de vers impairs, se détachent de l’ensemble, attirant l’attention du lecteur. Cela, de même que les points d’exclamation qui émaillent, fort justement, « Élan vital ». Reste que l’auteure choisit de conserver une certaine souplesse dans sa versification, globalement sans compromettre leur musique. 
 
Le recueil de poésies « IntempOralité » invite donc le lectorat à se baigner dans un univers serein, fait de toutes ces choses dont on parle depuis toujours en littérature, qu’on sait fugaces et qu’on voudrait immortelles. L’art de la poétesse y contribue, au fil de soixante-dix poèmes. Pourquoi ne pas s’y plonger?
 
Catherine Gaillard-Sarron, IntempOralité, Chamblon, Catherine Gaillard-Sarron, 2017.
Billet "Délit de fuite" 16 janvier 2017

Accident ou meurtre?

Catherine Gaillard-Sarron ose le roman policier

Billet de Daniel Fattore le 16.01.17

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Avec « Délit de fuite« , l’écrivaine franco-suisse Catherine Gaillard-Sarron poursuit son exploration des genres littéraires en offrant un premier polar. Auto-édité avec soin, celui-ci a paru en fin d’année dernière, quelque temps après son premier roman « Allons voir si la rose…« , qui fait suite à plusieurs recueils de nouvelles et de poésie.

C’est un fait divers qui constitue le nœud de l’intrigue de « Délit de fuite« : une voiture fonce sur une personne qui traverse la route, celle-ci meurt. Accident? Cela aurait pu se passer ainsi. Mais Annie Belmont, témoin oculaire, vient faire une déposition qui sème le trouble et s’avère cruciale pour l’enquête. Il y a anguille sous roche… et autour du commissaire Henry Baud, les policiers explorent toutes les pistes.

Le lecteur goûtera les dialogues piquants qui s’installent entre les deux amants!

L’auteure construit avec Henry Baud un personnage à la fois discret et attachant: on le voit œuvrer avec méthode, de façon bien carrée, et coacher son escouade d’inspecteurs en les priant à plus d’une reprise de ne pas prendre d’initiatives. En contrepoint, l’auteure sait réserver des plages de légèreté autour de ce bonhomme: celui-ci a une copine, une vraie complice, qu’il rencontre selon un rituel précis (deux jours par semaine seulement). Le lecteur goûtera les dialogues piquants qui s’installent entre les deux amants!

Enfin, Henry Baud est un passionné de puzzles, ce qui lui vaut le surnom de Commissaire Dix Mille Pièces. Ces puzzles, il les résout comme ses enquêtes: avec méthode et concentration. Le parallèle entre une intrigue policière à indices, qu’il faut collecter et faire coïncider pour reconstruire la vérité, et la construction d’un puzzle s’avère évidente. Enfin, il est permis de voir dans ce personnage qui préfère la rigueur aux éclats le reflet d’une certaine image de la Suisse, où se passe l’action: un pays calme, un peu terne peut-être (le pays a aussi ses banlieues sans âme), mais où tout se passe pour le mieux.

Catherine Gaillard-Sarron offre avec « Délit de fuite » un petit roman policier classique, cohérent et bien construit, qui prend le temps d’explorer les âmes humaines et ne néglige pas les moments de légèreté.

Du moins en apparence: quand même, l’hypothèse de l’homicide volontaire se vérifie! Les indices collectés sont divers: un peu de la couleur de la voiture, un suspect qui boit trop, un chien disparu, deux chiffres incertains sur une plaque minéralogique, et même une tombe profanée. A cela vient s’ajouter un peu de psychologie, en vue d’arriver, de manière assez linéaire, jusqu’au coupable. Henry Baud n’a certes pas à se laisser attendrir; cela dit, l’auteure dessine précisément les arguments qui s’entrechoquent dans l’esprit du commissaire au moment des aveux.

Catherine Gaillard-Sarron offre avec « Délit de fuite » un petit roman policier classique, cohérent et bien construit, qui prend le temps d’explorer les âmes humaines (celle de Henry Baud, mais aussi celle du coupable, qui a ses raisons d’agir comme il l’a fait) et ne néglige pas les moments de légèreté. En définitive, c’est un livre qu’on lit rapidement, porté par un style fluide et agréable.

 

Catherine Gaillard-Sarron, Délit de fuite, Chamblon, CGS, 2016.

Daniel Fattore le 16.01.17

Billet "Chemins de traverse" 22 juin 2016

Chemins et philosophies avec Catherine Gaillard-Sarron

Billet de Daniel Fattore le 22 juin 2016

Voir le livre et le commentaire de François Gachoud

Chemins de traverse: le titre de ce recueil de contes et de nouvelles peut paraître convenu. Catherine Gaillard-Sarron, son auteur, lui donne tout son sens. Avec ce nouveau livre, l’écrivaine choisit d’explorer de nouvelles possibilités offertes par le genre de la nouvelle, après avoir offert plus d’un recueil, d’inspiration fantastique ou quotidienne.

Chemins, donc. Ceux-ci sont une constante dans ce recueil, au sens propre comme au sens figuré, l’un n’allant le plus souvent pas sans l’autre. Ce thème classique est annoncé dès la première nouvelle, Le chemin, qui a des allures de prose poétique, décrivant les beautés d’un paysage. De manière évidente, il adopte une forme cyclique, annoncée dès ses premières phrases: « Il n’a pas de début et pas de fin non plus » – une idée reprise à la fin: « Car mon chemin n’a pas de début et pas de fin non plus. » Phrase reprise, à peine modifiée – une modification qui porte tout le sens de l’enrichissement du chemin parcouru, même si les points de départ et d’arrivée se confondent.

Le ton est ainsi donné: plutôt que de l’action, il y aura de la réflexion et de la poésie dans les pages de Chemins de traverse. Plus d’une nouvelle utilise les versions modernes du chemin que les humains parcourent comme prétexte à des moments de réflexion, la pensée cheminant au fil du parcours. Cela peut être un parcours en voiture (Musicomane), une randonnée où l’on cause (Les marcheurs) ou même un voyage attendu mais jamais effectué (Terminus…, beau moment de réflexion immobile de la part d’un homme mangé par son travail).

Ces nouvelles invitent chacune et chacun à réfléchir en douceur aux grandes questions de la vie.

L’auteure partage au fil des pages une vision du monde personnelle et aborde des questions que tout un chacun se pose: la mort qui peut frapper un couple, et alors, vaut-il mieux partir le premier? (Les marcheurs), les distractions du quotidien qui éloignent de l’essentiel qui se trouve au fond de chacun de nous (Le visiteur, avec son personnage d’ado bloqué dans une chambre avec l’interdiction de bouger à la suite d’un accident). Si les sujets sont graves et touchent à l’essentiel, ils n’excluent pas un certain sourire, ni les clins d’œil au lecteur astucieux: si le nom de Crassote, sage du socratique Dialogue sur la solitude, prête à sourire, on se souviendra qu’il rappelle aussi le mot russe qui signifie beauté (красота).

Ces nouvelles invitent chacune et chacun à réfléchir en douceur aux grandes questions de la vie. Le lecteur pourra dès lors être surpris par le côté péremptoire de Le Grand Rêve, long dialogue entre une grand-mère et sa petite-fille autour des hommes et des femmes, marqué par un secret aux allures de complot féminin et installant un manichéisme primaire entre les hommes, présentés comme dominateurs et égoïstes (même s’ils ne le sont pas en apparence), et les femmes, sensibles et pleines d’amour, et en définitive supérieures aux hommes. L’auteure oppose ici l’image d’un spermatozoïde, viril et conquérant, et celle d’un ovule, aimable et rond. Ce texte détonne ici: une vision aussi clivée a-t-elle sa place ici?

Le Grand Rêve suggère, cela dit, l’idée païenne de la possibilité d’un dieu femme. C’est que l’auteure tourne autour de l’idée de la divinité au fil des pages, acceptant volontiers, de manière presque évidente, la possibilité d’une transcendance. Dieu des chrétiens ou autre chose? La question est ouverte; l’auteure va jusqu’à intituler une de ses nouvelles Le Grand Horloger, ce qui est la traduction d’une certaine vision d’un principe qui dépasse l’humain et organise l’univers dans ses rouages. Cela, sans exclure que c’est peut-être en nous que se trouve ce principe transcendant – une sorte de « δαίμων » socratique. Socrate, encore lui…

Provocants ou méditatifs, les textes de Chemins de traverse s’avèrent de bons points de départ pour des réflexions personnelles, tournant autour de thèmes qui concernent chaque lecteur. L’auteure offre ses pistes de réflexion, ses éléments de réponse, dans une écriture abordable qui ne perd pas le contact avec le concret, puisqu’il met à chaque fois en scène des personnages humains ordinaires comme point de départ. Cela, au gré d’un recueil bien construit: si la dernière nouvelle s’intitule Le bout du chemin et suggère la fin de vie, ce n’est pas tout à fait un hasard…

Catherine Gaillard-Sarron, Chemins de traverse, Chambon, Catherine Gaillard-Sarron, 2016.

Daniel Fattore le 22 juin 2016

Billet "Allons voir si la rose..." 24 novembre 2015

Catherine Gaillard-Sarron et le piquant des roses

Postface de Anne-Catherine Biner – Voir le livre

Billet de Daniel Fattore le 24 novembre 2015

Quand les querelles de voisinage sont le premier poison du vivre-ensemble…

Dans son premier roman, intitulé « Allons voir si la rose… », Catherine Gaillard-Sarron installe une bisbille entre monomaniaques, et s’amuse à décortiquer avec un certain bonheur la psychologie et les très humaines faiblesses de de ses personnages

Ce premier roman a les airs d’une nouvelle amplifiée, notamment par l’extension de la psychologie des personnages. Stramer, présenté comme un monomaniaque des roses, paraît s’intéresser aussi à ce qui se passe autour de lui, de manière plus ou moins probable. Si on le suit volontiers dans ses réflexions sur le spécisme (le lion Cecil fait une apparition), on a de la peine à croire à sa critique de Gabriel Matzneff: un chimiste à la retraite aux ascendances germaniques s’intéresse-t-il forcément au prix Renaudot de l’essai? Quelques pistes, par ailleurs, sont installées. Il est regrettable qu’elles ne soient pas poursuivies plus avant, surtout si elles sont évoquées avec vigueur – on pense au goût de Stramer le misanthrope pour les « professionnelles », mentionné deux fois par l’auteur – or, celles-ci n’interviennent pas dans ce roman.

un final bien éclatant, mené tambour battant, qui amène son lot de morts pleins de caractère au terme d’un ouvrage qui sait se faire à la fois cocasse, piquant et intelligent.

S’il est délicieusement caricatural, le portrait du couple de voisins, les Crosmou, s’avère aussi nettement plus crédible. Il se fonde sur l’interaction asymétrique entre une femme puissante pour ne pas dire violente, dont le physique imposant reflète le caractère envahissant, et son mari, figure veule et fluette – qui porte cependant le nom bien félin de Félix. Cela, sans oublier le chat, justement, par lequel tout passe, ce qui ne manque pas de faire endêver le fameux Félix. L’auteure fait de cette bestiole, précieuse bête à concours, un élément clé (mais corrosif) de la relation conjugale, ce qui ne manquera pas de divertir le lecteur.

Divertir? Certes, le propos est grave puisqu’il est question d’une hostilité entre voisins, qui se développe en un crescendo rapide à l’apothéose bien campée quoique tragique. Les situations sont caricaturales, le lecteur le comprend en côtoyant des personnages tels que l’auteure sait les construire. L’onomastique, cela dit, s’avère amusante: les personnages portent des noms évocateurs et, surtout, certains mots et marques actuels, suisses à l’occasion, sont travestis afin de leur donner un côté ridicule auquel tout le monde a pensé un jour ou l’autre.

Le début paraîtra certes peu percutant au lecteur, l’auteur ayant choisi d’installer doucement son intrigue en présentant le personnage de Stramer. Mais il sera utile d’aller au-delà de cette impression pour arriver à un final bien éclatant, mené tambour battant, qui amène son lot de morts pleins de caractère au terme d’un ouvrage qui sait se faire à la fois cocasse, piquant et intelligent: si l’on sourit à certaines outrances, on se surprend aussi à réfléchir ou à s’interroger au détour d’une phrase, d’une page de ce livre aux allures de faux journal.

Catherine Gaillard-Sarron, Allons voir si la rose…, Chamblon, Catherine Gaillard-Sarron, 2015.

Daniel Fattore le 24 novembre 2015

Billet "La fenêtre aux alouettes" 21 janvier 2015

Une fenêtre ouverte sur les âmes

 Préface de Jacqueline Thévoz – voir le livre

Billet de Daniel Fattore le 21 janvier 2015

Pratiquement en même temps que son recueil Paquet surprise, la poétesse et écrivaine franco-suisse Catherine Gaillard-Sarron a publié un autre florilège de nouvelles, La Fenêtre aux alouettes – merci à elle pour l’envoi! Avec ce nouveau recueil, elle s’installe comme une auteure de nouvelles romande à l’indéniable personnalité. Préfacé par Jacqueline Thévoz, auréolé d’un Scribe d’argent décroché à Moudon, « La Fenêtre aux alouettes » rallie les thèmes de prédilection de Catherine Gaillard-Sarron, dans une optique psychologique – c’est une constante de ce recueil.

L’exploration des âmes est minutieuse et crédible dès la première nouvelle, Impulsion: un moment de tension en familiale, un peu d’alcool, une situation qui dérape… à chaque péripétie, l’auteure analyse ce qui se passe dans la tête de deux personnages séparés par les circonstances. Et côté péripéties, les personnages sont servis, ce qui permet à l’auteur de les creuser jusqu’au bout. Ce qui les rend profondément humains.

Cette approche peut déboucher sur un rythme de narration assez lent, et laisser l’impression qu’il ne se passe pas grand-chose – ou alors que l’action est tout intérieure et que l’attention est invitée à se porter sur des détails d’importance. C’est le cas dans des nouvelles comme Parfum de vie ou Amour éternel, que l’on savoure donc plus longuement.

L’exploration des âmes est minutieuse et crédible dès la première nouvelle, Impulsion: un moment de tension en familiale, un peu d’alcool, une situation qui dérape… à chaque péripétie, l’auteure analyse ce qui se passe dans la tête de deux personnages séparés par les circonstances.

Si certaines nouvelles sont donc plus longues, plus développées et approfondies, d’autres sont brèves et fulgurantes, à l’instar de Comme une bougie dans le vent…, qui décline, en un clin d’oeil sympathique, la figure d’Elton John, ou Humour noir! qui, rédigée dans un style familier qui claque bien, revisite le genre du « bon tour » facétieux cher aux nouvellistes d’antan, à la manière la plus moderne qui soit: un peu de teinture bien placée suffit pour faire naître un sourire!

On retrouve enfin dans La Fenêtre aux alouettes certains éléments familiers à l’auteure. Les hommes ont souvent le mauvais rôle (mais les femmes sont-elles toujours meilleures?), et il arrive que certains drames soient accentués par la consommation déraisonnable et délétère d’alcool. Par ailleurs, comme dans « Paquet surprise », on trouvera des textes d’une certaine sensualité, où les sentiments et l’émotion ne sauraient manquer. Enfin, certains textes, tournant autour du motif du cristal, rappelle le thème du concours du Scribe d’Or 2013: Noces de cristal.

Le lecteur fidèle de Catherine Gaillard-Sarron ne sera donc pas dépaysé par ce recueil. Il y trouvera cependant un fil rouge, celui de la psychologie et de l’exploration des zones sombres et claires des âmes.

Le lecteur fidèle de Catherine Gaillard-Sarron ne sera donc pas dépaysé par ce recueil. Il y trouvera cependant un fil rouge, celui de la psychologie et de l’exploration des zones sombres et claires des âmes (la rédemption est parfois au bout du chemin!), qui le distingue. Quant à la nouvelle éponyme, qui met en scène un personnage qui s’invente des histoires, elle s’avère tout un programme: « Décidément, la réalité ne valait pas ses fictions. Et sa fenêtre n’était qu’un miroir aux… alouettes. »

 

Catherine Gaillard-Sarron, La Fenêtre aux alouettes, Chamblon, Catherine Gaillard-Sarron, 2014.

Daniel Fattore le 21 janvier 2015

Billet "Paquet surprise" 26 septembre 2014

PAQUET SURPRISE : Le parfait recueil pour Noël

Préface de François Gachoud

Billet de Daniel Fattore le 26 décembre 2014

Vingt-quatre nouvelles! Celles-ci constituent un florilège qui sait surprendre par le choix de certains points de vue. Elles ont une teinte généralement optimiste ou malicieuse, même si certains personnages sont détestables – en particulier les hommes mufles ou machos mis en scène. L’écriture est fluide, classique, et se met au service de moments émerveillés, curieux, souriants, voire sensuels

Des nouvelles, encore! Poétesse et nouvelliste, l’écrivaine suisse Catherine Gaillard-Sarron propose, en cette fin d’année, tout un recueil plein de surprises. Certaines font du bien, certaines dérangent, d’autres interpellent. Au final, Paquet surprise est un recueil auto-édité à lire – à dévorer, même – en cette période de fêtes de fin d’année.

L’écriture est fluide, classique, et se met au service de moments émerveillés, curieux, souriants, voire sensuels.

Les premiers textes de ce recueil sont des contes de Noël modernes. Le lecteur appréciera les bonnes vibrations qui en émanent, en particulier de la première, Le Noël de Pietro et Rosa. Cumulant les hasards heureux autour d’un couple modeste, sans histoires mais non sans rêves, elle illustre à merveille l’idée du miracle de Noël et promet que la fête est porteuse de bonheur. Rebelote avec Au dragon pétaradant, une nouvelle qui montre que certaines prédictions peuvent devenir réalité, pour le pire et pour le meilleur. L’auteure use d’un contraste maximal pour dépeindre deux hommes: l’un est un mufle odieux, l’autre une personnalité attentionnée et élégante. Le tout, dans un « restaurant chinois vaudois »: entre plats foirés et tomates farcies, la catastrophe est programmée. L’auteure n’épargne rien, pas même la « boule de glace à la fraise couverte d’une macédoine de fruits en boîte et d’un pschit de chantilly en bombe ». Rien à voir avec le « restaurant chinois » de Christophe Grau…

Le lecteur coutumier de Catherine Gaillard-Sarron sait que les personnages masculins de Catherine Gaillard-Sarron ne sont pas toujours des plus sympathiques: les travers tels que la muflerie et le machisme mal placés, parfois exacerbés par la dépendance à l’alcool, reviennent régulièrement dans ses textes. L’auteure réserve quelques personnages de ce tonneau dans « Paquet surprise », peints à grands traits vigoureux, jusqu’à la caricature. L’issue de ces nouvelles est le plus souvent attendue: l’homme finit puni par là où il a péché. On aurait apprécié, parfois, un virage inattendu! Reste la manière d’y arriver, qui s’avère astucieuse, par exemple, dans La Liste: acrostiches, anagrammes, mots croisés et jeux de mots, le parcours est savoureux comme un bonbon de Noël.

Et l’on glisse, en fin de récit, vers des textes sensuels, voire érotiques – La demande rappelle que pour de grands moments, peu importe le décor… et Aventure intra-sensorielle permet à l’auteure de boucler son recueil sur un ultime orgasme. Quoi de mieux?

Une brassée de lettres offre à l’auteur une nouvelle occasion de jouer avec les mots et de se glisser dans la peau de personnages incongrus: des wagons, la chèvre de Monsieur Seguin, etc. La signature fait ici figure de chute, donnant à ces lettres un vrai statut de nouvelle. Et l’on glisse, en fin de récit, vers des textes sensuels, voire érotiques – La demande rappelle que pour de grands moments, peu importe le décor… et Aventure intra-sensorielle permet à l’auteure de boucler son recueil sur un ultime orgasme. Quoi de mieux?

Préfacé par le philosophe François Gachoud, le recueil de nouvelles Paquet surprise porte bien son nom: il s’agit d’un florilège de textes divers, regroupés en fonction de thématiques qui rapprochent certains d’entre eux. Parfois prévisibles certes, ces nouvelles surprennent le plus souvent, font volontiers sourire, et savent émerveiller grâce à un optimisme certain.

Catherine Gaillard-Sarron, Paquet surprise, Chamblon, Catherine Gaillard-Sarron, 2014. Préface de François Gachoud.

Daniel Fattore le 26 décembre 2014

Billet "Des taureaux et des femmes" 10 avril 2013

DES TAUREAUX ET DES FEMMES  : « Ah, la vache!

Éditions Plaisir de Lire – Collection Aujourd’hui 2010

Billet de Daniel Fattore le 10 avril 2013 

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Un recueil de nouvelles qui fait pendant à « Un fauteuil pour trois« , du même auteur: alors que ce dernier faisait frissonner, « Des taureaux et des femmes » donne à réfléchir sur les relations humaines et sur certains aspects graves (domination de l’homme ou de la femme dans le couple, par exemple). L’auteur évite l’écueil du plombant en gardant toujours un certain esprit, un certain humour.  

Difficile de faire un titre de billet malin à partir de celui du recueil de nouvelles Des taureaux et des femmes de Catherine Gaillard-Sarron. Pourtant, il y est bien question de bovins, au sens propre ou métaphorique. Ainsi les vaches et les taureaux font-ils figure, tout au long du recueil, de leitmotiv. Cela, sans compter les bœufs, qui ne sont autres que des taureaux castrés: l’ultime nouvelle du recueil, L’histoire de Kim Lalesh, un conte des plus sensuels, en présente un fort beau spécimen. Mais n’anticipons pas…

… Ce recueil de nouvelles se pose en complément au recueil « Un fauteuil pour trois« : alors que ce dernier se concentre sur des textes qui font frissonner (fantastique, horreur), Des taureaux et des femmes met en scène des destinées humaines, sans une once de fantastique, mais avec leur lot de dominations et de soumissions – cela, après une première nouvelle, Des taureaux et des femmes, qui suggère une recherche de l’accord parfait. Si sa fin, fondée sur une astuce grammaticale, est un peu facile, le lecteur goûtera le caractère habile et enlevé du développement, qui file avec adresse la métaphore tauromachique et exploite le champ lexical taurin. Au final, voilà troussée une course-poursuite entre deux amoureux qui a tout d’une aimable corrida de l’amour vache. De quoi séduire le jury du prix Ernest Hemingway!

Une telle harmonie tranche avec les autres nouvelles du récit. La plupart d’entre elles relatent en effet des dissonances entre êtres humains, et des vies de couple vues, souvent, dans une optique de domination crasse. Le lecteur appréciera ainsi la finesse toute relative (et c’est peu de le dire) de l’homme dans La Lisette – un prénom que l’auteur a déjà utilisé ailleurs dans ses œuvres, dans un recueil intitulé « La Lisette, Paul, Martha et les autres », paru en décembre 2007, et vu comme le parangon d’une destinée féminine faite de frustrations bien réelles et d’espoirs sans cesse déçus. La dédicace de « Des taureaux et des femmes » donne du reste à « Lisette » le caractère d’un nom commun désignant ce type de destinée féminine, que les nécessités de l’existence ont subordonnée à un homme dépourvu de toute finesse et de toute empathie – un agriculteur, par exemple, éleveur de bovins, figure que l’auteur exploite ici.

Au final, voilà troussée une course-poursuite entre deux amoureux qui a tout d’une aimable corrida de l’amour vache. De quoi séduire le jury du prix Ernest Hemingway!

Certaines nouvelles du recueil sont fulgurantes, à l’instar des astucieuses nouvelles à chute Réminiscence et L’Affaire de Noël – une affaire non dépourvue de cruauté, disons-le. Dans ce registre, le lecteur goûtera aussi avec plaisir Le Sermon du Père Fides, récit humoristique qui rapproche la religion chrétienne et un certain produit de bienfaisance très à la mode. Le nom en forme de jeu de mots du personnage, cité dans le titre, guide le lecteur: il convient de lire cela au deuxième degré, en gardant à l’esprit que c’est pour rire – et que Dieu est (aussi) humour. Cette dernière idée, l’auteure de « Des taureaux et des femmes » l’exploite aussi ailleurs, en particulier dans Le fantasme du curé, nouvelle plus développée, au parfum rétro (le curé monte encore en chaire pour dire son sermon). Cette nouvelle est adroite, perverse même, puisqu’elle pousse le lecteur à avancer dans sa lecture en flattant son côté voyeur: au fond, elle suggère que le curé a des pensées aussi secrètes que coupables… qu’on aimerait bien connaître!

Le lecteur pourra avoir l’impression, au fil des nouvelles, que les femmes sont toujours victimes des hommes. Quelques nouvelles suggèrent cependant l’inverse, ou indiquent que tout n’est pas si simple. Paul et Martha est l’une d’entre elles: comment condamner ce brave Paul, conjoint d’une Martha qui a tout d’une Tatie Danielle? Et que penser de la vengeance du mari trompé dans Aux mille et un pâtés? Certes, il paraît bien sûr de lui; certes, le lecteur voit venir l’issue d’assez loin; mais malgré ces faiblesses, le lecteur se délectera de quelques descriptions culinaires appétissantes… avant de découvrir la terrible réalité des plats.

« L’onomastique des personnages, en particulier, le signale, riche en jeux de mots subtils ou directs. Ainsi le lecteur fera-t-il la connaissance de Kim Lalesh (on imagine ce qui lui plaît…), de Madame Currit-Vaire (qui ne manque pas de piquant, finalement) et, bien sûr, du Père Fides, insidieux d’entre les insidieux. »

Au fil des nouvelles, le lecteur est promené dans des relations interpersonnelles et de couple qui dysfonctionnent et cahotent, jusqu’à la folie (Monsieur Herbert), et certaines pages de Des taureaux des femmes ont un petit goût amer ou dérangeant. Cela dit, l’auteur indique de façon claire que tout cela n’est pas à prendre trop au sérieux – l’onomastique des personnages, en particulier, le signale, riche en jeux de mots subtils ou directs. Ainsi le lecteur fera-t-il la connaissance de Kim Lalesh (on imagine ce qui lui plaît…), de Madame Currit-Vaire (qui ne manque pas de piquant, finalement) et, bien sûr, du Père Fides, insidieux d’entre les insidieux. Ainsi, tout en soulevant des sujets graves liés aux relations interpersonnelles, l’auteure offre toujours un espace ludique au lecteur, et évite ainsi, fort justement, de plomber l’ambiance.

Catherine Gaillard-Sarron, Des taureaux et des femmes, Lausanne, Plaisir de lire, 2011.

Daniel Fattore le 10 avril 2013 

Billet "Un fauteuil pour trois " 23 janvier 2011

UN FAUTEUIL POUR TROIS : Le fantastique revisité

Éditions Plaisir de Lire – Collection Frisson 2009 

Billet de Daniel Fattore du 23 janvier 2011

Postface de Pierre Yves Lador

Catherine Gaillard-Sarron a publié l’an dernier un recueil de dix nouvelles d’essence fantastique à la saveur particulièrement agréable – une belle découverte, pour tout dire! Il y a certes de belles frayeurs, de belles inquiétudes et des nuits blanches à revendre, mais il y a aussi de la tendresse dans ces récits, et un certain humour – parfois franchement potache, parfois joliment noir. 

La forêt est aussi le décor de L’Odeur, qui, du fait de son rythme haletant, a quelque chose qui rappelle Stephen King.

A l’heure où l’écrivain suisse Catherine Gaillard-Sarron publie son deuxième recueil de nouvelles, « Des taureaux et des femmes », il était grand temps que je me plonge dans son premier recueil, Un fauteuil pour trois, qui hantait ma pile à lire depuis pas mal de temps. Et je ne regrette pas mes heures de lecture: au gré de quelque 174 pages, c’est tout le genre fantastique qu’elle revisite, s’appropriant avec adresse les ressorts du genre et les nimbant d’une once de tendresse et d’esprit qui leur donne toute leur saveur.

Au gré de quelque 174 pages, c’est tout le genre fantastique qu’elle revisite, s’appropriant avec adresse les ressorts du genre et les nimbant d’une once de tendresse et d’esprit qui leur donne toute leur saveur.

C’est le plus souvent en se concentrant sur le point de vue d’un seul personnage que ses nouvelles se déroulent. Ce personnage peut être présenté seul et isolé, comme c’est le cas dans La dernière garde, où est peinte la fin étrange d’une vieille dame, à la veille de ses 80 ans – nouvelle où le surréel vient se substituer tout en douceur au réel afin de suggérer le grand départ, une nuit inquiétante en forêt. Incertitude, lieux étranges, peur diffuse: tout est là pour constituer une atmosphère fantastique.

La forêt est aussi le décor de L’Odeur, qui, du fait de son rythme haletant, a quelque chose qui rappelle Stephen King. L’auteur a bien su percevoir que souvent, les éléments négatifs sont, pour tout un chacun, associés à une odeur. Ici, elle est présentée comme indéfinissable et obsédante – la mort, peut-être? Cette base bien trouvée sert de substrat à un flash-back familial, puis à la hantise de tout un chacun: avoir un accident, seul, en forêt…

De la sensualité, il y en a aussi – et à ce titre, la nouvelle Un fauteuil pour trois est emblématique. Doit-on sourire à cette aventure? Elle est en tout cas énorme, entre ce fauteuil qui prend un malicieux plaisir à masser ceux qui s’y asseoient avant de leur faire un sort. L’humour noir est ici au rendez-vous, entre outrances et horreur, entre Eros et Thanatos.

Humour également dans un petit récit intitulé Télé à chat! qui, sous des dehors cocasses, donne à réfléchir à nos postures lorsque nous regardons la télévision et, plus largement, à l’importance parfois surfaite que nous donnons à ce que propose cette folle du logis. Sourires qui naissent également des jeux de mots parfois potaches émanant de la désignation de l’animal. Ce qui rappelle la funeste destinée du lapin « hamlétien » de Courir ou ne pas courir? (qui, à titre personnel, me rappelle quelques bestioles à longues oreilles vues chez Ivan Sigg…).

Ou, dans un registre plus grave, la dramatique destinée, relatée à traits trépidants, d’une espèce en voie de disparition relative dans la nouvelle à chute Sans sommation.

Il faudrait aussi relever la belle histoire d’amour de Songe d’une journée d’été, nimbée de merveilleux, ou les dialogues avec Dieu (vraiment?) de Le passe-pensées et d’autres petits bijoux encore. Les dix récits du recueil sont portés par un style classique, soigné, empreint de tendresse et riche en clins d’œil aux personnages, à la Suisse romande et à d’autres régions du globe.

Enrichi d’une postface de Pierre-Yves Lador, ce petit livre vaut bien une lecture!

Catherine Gaillard-Sarron, Un fauteuil pour trois, Lausanne, Plaisir de lire, 2009.

Daniel Fattore du 23 janvier 2011