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Une grande ville d’Europe, 21 mai 2110

PAR CATHERINE GAILLARD-SARRON

Comme les nuages, les civilisations errent et changent de forme” (citation inspirée de Victor Hugo). 

Autour de lui la foule hurlait et vociférait. Daniel sentit ses tripes se nouer et la terreur l’infiltrer peu à peu. Il avait beau être courageux et savoir ce qui l’attendait, lui et les autres, la vue de ces milliers de gens qui éructaient leur haine et les insultaient grossièrement le paralysa. Il regarda dans les gradins, pleins à craquer, cette masse mouvante et grouillante qui gesticulait et scandait des slogans meurtriers, cet ensemble uniforme dont la clameur abjecte emplissait l’arène et semblait provenir d’une seule et unique bouche fétide. Il eut soudain l’horrible sentiment de se trouver face à une bête immonde. Un monstre innommable, excité par l’attente et assoiffé de sang. Un monstre humain engendré par une société pourrie et perverse dont les seules valeurs étaient désormais le fric et la jeunesse.

Dans la lumière éblouissante du mois de mai, Daniel contempla ses compagnons d’infortune dont les cheveux blancs et les lunettes brillaient au soleil. Ils étaient environ une centaine, certains plus flétris et décatis que d’autres. Une fois encore, en cette ultime circonstance, il constata combien les gens n’étaient pas égaux devant le vieillissement. Tous étaient pourtant nés en 2050. Le commandement de sortie informatique qui leur avait été envoyé deux jours plus tôt à leur domicile et les réunissait en ces lieux sordides en attestait. Daniel, à l’instar de la centaine de personnes qui l’accompagnaient, ainsi que de toutes celles qui attendaient leur tour dans les couloirs des arènes, savait ce qui allait se passer. Mais il n’y avait pas cru. Jusqu’au dernier moment, quand les huissiers d’évacuation s’étaient pointés chez lui pour l’emmener, il avait espéré. Le gouvernement avait promis une augmentation des quotas de vie et des dispenses pour les Horsdâge et Daniel, convaincu du bien-fondé de ces dires, avait adressé plusieurs demandes dans ce sens aux services concernés. Mais personne ne lui avait répondu. Une fois de plus, il comprenait que tout n’était que mensonges et hypocrisie. Que seul comptait le bizness. Lui et les autres n’étaient que les dindons d’une farce abondante et riche qui engraissait le monde et surtout ceux qui le dirigeaient. Car aujourd’hui les choses étaient redevenues normales et plus rien, si ce n’est la cruauté, le sadisme et le mercantilisme, ne justifiait la poursuite de ces mesures inhumaines.

 

Lire plus sur la Méduse.ch le 20.2.16